Les années EPO (2/3) : Berzin patron

Si le Tour 94 marqua l’arrivée à son paroxysme de l’inhumanité des perfomances cyclistes à l’EPO, le symbole le plus éclatant se matérialisa dans les résultats de l’équipe Gewiss. La Gewiss et son fabuleux mage Michele Ferrari.

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Un médecin pourrait passer son temps à soigner, certains choisissent de le passer à tuer. Ferrari débute sa carrière de sorcier, comme il se doit au début des années 80 à Ferrare, au centre de préparation de Merlin l’enchanteur.  Pour l’occasion il prend les traits du Dr Conconi, déjà bien connu des services de pharmacologie puisqu’il prépara Francesco Moser, 33 ans, lors de ses deux records de l’heure à Mexico. En 1993, le petit Michele, élève très appliqué, entre dans le « vif » du sujet en prenant en charge, seringues à la main lors de fascinants stages en altitude, la destinée de Tony Rominger. Et quelle destinée.

L’insupportable gentilhomme suisse remporta presque tout ce qui s’offrit ensuite à lui, n’échouant dans le Tour de France que sur le célèbre coéquipier espagnol de Gérard Rué chez Banesto. L’insatiable hélvète bat surtout deux fois, en deux mois, en 1994, le record de l’heure. Ce qui aujourd’hui n’a plus aucun intérêt mais qui à l’époque était gage de « très bonne préparation ». 1994 fut donc l’année où le docteur Ferrari prit en main la Gewiss. Il innocenta alors à tout jamais, ou presque, Lance Armstrong, Alexandre Vinokourov et des dizaines d’autres patients : « l’EPO n’est pas plus dangereuse que 10 litres de jus d’orange. » Après ça tout le monde fut rassuré et la Gewiss put tranquillement prospérer à l’aide de sa potion magique.

Le directeur sportif de la Gewiss, Emanuele Bombini possédait dans son effectif, au début de l’année 94, une majorité d’inconnus, au palmarès vierge. Ils s’appelaient Berzin, Gotti ou Furlan, étaient encadrés par un coureur danois très moyen déjà âgé de 30 ans, qui ne comptait alors dans son palmarès rien de très glorieux hormis une calvitie. Se trouvait aussi là, un élève de Ferrari ancien champion du monde : le vieux Moreno Argentin. Sous les yeux complices des mondes cycliste et médiatique, cette équipe sans prétention allait tout simplement réinventer le vélo en raflant presque tout. Les spectateurs ébahis voyaient tout, mais ne devinaient rien.

A chaque course son exploit sponsorisé Gewiss. Furlan gagna Milan-San Remo, le Russe Berzin remporta Liège-Bastogne-Liège. On disait de lui qu’il était le coureur le plus doué du peloton. Et si on remplace le u par un p ça donne quoi ? Une étape fut franchie dans la démesure à la Flèche Wallonne lorsque les trois premières places furent offertes à Argentin, Furlan et Berzin. Un exploit inédit qui fut salué avec l’agrément de l’UCI par Ferrari en personne qui en profita pour évoquer publiquement les merveilleuses vertus de l’EPO dans la préparation de ses poulains. Pourquoi alors s’arrêter là ? Berzin remporta le Tour d’Italie en dominant tranquillement… Miguel Indurain. Puis Ugrumov eût sa part du gâteau au Tour de France.

La dernière marche pour accéder au panthéon du cyclisme à moteur fut franchie en 1995 lors du contre-la-montre par équipe. L’équipe Gewiss écrasa l’étape à la vitesse de 54,943 km/h de moyenne. La légende raconte que les motos suiveuses n’arrivèrent qu’1h et demi après. Riis finit 3e de ce même Tour et termina sa carrière comme l’on sait. Gotti se plaça 5e puis augmenta les doses et remporta deux Tours d’Italie. Pour Berzin et Furlan, la fin ne fut pas aussi rose. Le premier porta brièvement le maillot jaune en 96 avant, ironie du sort, de laisser à Riis l’honneur de se faire rayer du palmarès, puis il disparut à tout jamais. La preuve que l’EPO ne suffit pas toujours. Le second dut stopper sa carrière victime d’une vilaine thrombose à la jambe, sans doute un des effets bénéfiques du jus d’orange.

1995, marqua également la miraculeuse résurrection de Laurent Jalabert, qui passa de très bon sprinter se cassant la gueule à Armentières en 94 à rouleur-grimpeur en 95, menaçant Indurain sur le Tour (finissant finalement 4e, faut pas exagérer quand même) et surtout grand vainqueur de la Vuelta et de tant d’autres courses.

Pendant ce temps-là, un coureur ancien champion du monde de cyclisme, très moyen sur le Tour de France (1993, abandon 12e étape; 1994 abandon 15e étape; 1995, 36e du classement général; 1996, abandon 6e étape) s’apprète à débuter son chemin vers l’au-delà… Il s’appelle Lance Armstrong.

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