– Tiens, Seb, toi qui es journaliste. Marathonien ? Un seul ou deux N ? C’est pour une dédicace.
– Deux, mais pas à la suite…
– J’étais pas loin !
Du Charpentier dans le texte… Le court sur Pat’ aurait pu devenir cycliste – « mon rêve » – disc-jockey ou ébéniste. Il a fini boxeur comme on choisit un melon ; à l’odeur rancie sous la queue : « Je n’étais pas fait pour ce sport. » Sans blague. Trop petit ? Pas assez d’allonge ? « Non, franchement, sans être raciste, je m’appelle Charpentier, je suis blanc et je n’ai pas grandi dans un quartier difficile. » Bref, vraiment rien pour réussir.
Mais voilà, né en l’an de graisse 1970 à Vimoutiers – « avec un S » – il débarque à 4 ans dans les faubourgs de Fleury-aux-Choux, la barbe naissante et un QI à la hauteur des plus grands. La légende est en marche. Elle conduit le Fleuryssois vers une chance continentale, qu’il saisit en 1995 – « le 18 juillet, à 20 h 32, contre un Français avec un prénom de fille, Valéry Kayumba ». Pat’ a l’intelligence de ceux qui n’oublient pas. Surtout les trois lignes de son palmarès amateur : « 53 combats, 43 victoires, dont 37 avant la limite. » Il ponctue chaque fin de phrase d’une esquive rapide et d’un direct dans l’épaule. « Tu l’as pas vu venir celle-là, hein ? »
« Mais, Patrick, tu n’as jamais su boxer » (Acariès)
Il me reste deux doigts à la main gauche pour vous brosser ses années pros, qu’il énumère avec la même précision chirurgicale : « 33 combats, 27 victoires, dont 24 avant la limite. Quand les autres voyaient ça, ils prenaient peur. Charpentier, il allait toujours chercher le K.-O. » Il lui faut en effet moins de deux minutes pour mettre au tapis le carreleur espagnol Javier Martinez (25 novembre 1995) avant que l’arbitre ne mette fin aux souffrances du fantôme écossais Gary Jacobs, le 14 juin 1996, et n’accorde à Charpentier sa troisième ceinture continentale des welters ; bien assez pour maintenir un short trop petit pour lui.
C’est à un autre gabarit qu’il veut désormais s’attaquer : Oscar de la Hoya, « le meilleur, le plus médiatique ». Comme Brahim Asloum, l’abattage médiatique en moins, il n’avait battu jusqu’alors que des porte-serviettes. « J’ai demandé à Acariès », sous le giron duquel il était passé quelques mois auparavant, « de pouvoir l’affronter ». Réponse du p’tit Louis : « Mais Patrick, tu n’as jamais su boxer. » Qu’importe : « Je savais que j’avais une chance sur cent de le battre. J’ai voulu la prendre. »
300.000 $ les trois rounds…
Le reste n’est qu’un récit plein de bruit et de fureur : « Même si je ne l’ai pas reconnu à l’époque, j’ai été tétanisé par l’environnement du combat. » Il y avait de quoi : El Paso, Texas, 60.000 personnes. « Jamais aucun Français n’a boxé devant autant de monde. » Neuf ans après, Charpentier en mouille toujours son slip kangourou. Ce 14 juin 1998, il ne l’oubliera jamais. Enfin, surtout le début de soirée. « J’avais pour stratégie de laisser passer l’orage avant de mettre le turbo au quatrième round. Mais ça allait beaucoup trop vite. J’ai été touché très tôt dans le troisième et tout s’est enchaîné. »
Après 1 minute 56 secondes dans cette reprise fatale, Pat’ prend une droite « partie de loin. Je décide d’attaquer alors que je n’avais plus toute ma lucidité. Il se retire habilement et alors j’ai senti comme une aiguille qui me piquait. Si je la prends dans le nez, il me le casse sûrement. » Touchant de lucidité… Après, c’est le trou noir : « Je ne me rappelle plus de rien jusqu’aux vestiaires. Je crois que j’ai fini en pleurs au téléphone avec ma femme sans vraiment savoir ce qui m’était arrivé. » Humilié, mais plus riche de 300.000 dollars – De la Hoya en a pris 4.000.000 pour cette exhibition -, Charpentier rentre s’enterrer à Fleury-aux-Choux. « C’était l’aboutissement de ma carrière, j’avais pris la décision d’arrêter quel que soit le résultat. » Il n’a pas remis les gants depuis. Sauf pour faire sa toilette.