Le Vestiaire republie aujourd’hui la véritable histoire de Domenech à la tête du football français. Celle où les incohérences prennent tout leur sens, où le foutage de gueule est professionnalisé. Voici l’histoire d’un homme livré à lui-même, seul contre tous : le premier héros de téléréalité sportive.
Raymond Domenech n’en garde que des bons souvenirs. En 1999, 2006 et pourquoi pas 2008, France-Italie aura récompensé les efforts du plus grand génie du football français. Pourvu que ce nouveau grand jour ne soit pas le dernier. Si la production emmenée par le tandem Escalettes / Jacquet n’exclut pas de programmer le Domenech show encore deux ans, rien n’est encore décidé. Depuis qu’il a pris en mains les Espoirs, s’il fait n’importe quoi et ne gagne rien, il accède quand même aux plus hautes fonctions. Frappé du sceau du génie. Après tout, ce n’est que de la télé.
L’histoire commence en 1993. Domenech est répéré lors d’un casting sauvage des plus classiques par Jean Fournet-Fayard. Le président de la FFF n’en est pas à son premier coup d’excellence, c’est lui qui a mis Houiller à la tête des A. Il repartira avec au lendemain de France-Bulgarie. Ce qu’il aime chez Raymond, c’est sa moustache, et la principale ligne de son CV : fraîchement viré manu militari par son premier vrai patron, Jean-Michel Aulas. C’est un premier signe très favorable. Pas encore assez médiatique, il hérite logiquement de l’équipe de France Espoirs et sa faible exposition (le câble ou Canal+ en crypté) pour se faire les pieds ; il y restera 11 ans. Le bilan des Bleuets est flatteur : deux titres en dix ans (vainqueur du tournoi de Casablanca 1999 et du festival Espoirs de Toulon en 1997), avant la gloire de 2004 et son second Toulon. Un marche pied vers le stade supérieur : ses échecs multiples sont un gage probant, il a même flingué plusieurs générations (cf Henry lors du Italie-France 1999). Il est prêt pour le prime time.
La vraie vie de Raymond
Lors de son entretien d’embauche, Domenech oublie son CV à la maison et passe pour l’homme idéal auprès de Simonet comme d’Estelle Denis, pour le candidat de la DTN face à Tigana et Blanc. Sa première conférence de presse est déjà un foutage de gueule médiatisé. Le premier d’une longue série, le public aime, les journalistes aussi. « Quelles sont les grandes lignes de votre projet ? C’est simple : il faut gagner des matches. » A partir de là, c’est l’escalade. Avec l’équipe de France A, il trouve enfin un jouet à sa mesure. Il veut tout tenter pour ridiculiser le football français le plus longtemps possible. La production lui donne carte blanche, il ne va pas se faire prier. Landreau le comprendra un peu tard, il n’existe pas de relation filiale à la télé. Tout ça c’est du cinéma. On fait clairement comprendre à Domenech l’étendue du challenge : « Les résultats on s’en fout, seule compte l’audience. »
Il commence fort. Interdire les walkman et imposer les protège-tibias à l’entraînement, même une équipe de DH insulte l’entraîneur au bout de deux jours. Il impose une intransigeance dont il se moque éperdument. Il discute avec les joueurs un par un sans écouter leurs avis. Mais ça lui donne un côté humain pas dégueulasse. Il convoque même Luyindula. Mais Raymond veut plus. Il veut se faire tous les cadres. Thuram et surtout Zidane sont retraités. L’occasion de liquider la génération Jacquet est trop belle. Le talent et la persévérance agissent : ils cèdent aux sirènes du génie rapidement. Il fait croire à Zidane qu’une deuxième étoile ferait joli sur sa robe de chambre. En réalité, la Coupe du Monde 2006 doit être leur fiasco final, il va tout mettre en oeuvre pour y parvenir.
L’audience, pas encore la correctionnelle
Il commence donc à se priver de certains indiscutables : Pires et Giuly, notamment, sous couvert d’une banale histoire de rancune. Personne ne relève, les joueurs concernés sont inaudibles, les deux premiers devenant même des récurrents de l’antenne de RMC, il y a même un club Pires sur Europe 1. Il réinstalle les papys dans leur fauteuil, regonfle leur égo et les emmène vers la Coupe du monde. « Rendez-vous le 9 juillet. » Sa pointe d’arrogance l’avait beaucoup amusé, elle passera finalement pour de la compétence. Les matches de préparation confirment pourtant ses prédictions : Zidane et Thuram n’avancent plus, Vieira s’agace sur le côté droit, Barthez et Coupet se tirent dans les pattes grâce à lui. Mais la mécanique s’enraye une première fois avec la blessure de Cissé. Djibril, qui pourrait être plus dangereux sur une jambe, doit être écarté. L’indigne France-Suisse est une mise en bouche appétissante, le très vilain France-Corée est un régal, mais le Togo est vraiment trop mauvais, Kader Touré n’arrive même pas à prendre une fois Thuram de vitesse. Le sélectionneur s’inquiète, il a vu les matches du Brésil, ça lui rappelle furieusement quelque chose.
Et puis, la machine s’emballe. Les joueurs s’organisent sur le terrain, Zidane se remet à courir, l’équipe est solide. Les vieux ont repris le pouvoir, Domenech voit son oeuvre lui échapper. Il regrettera ad vitam eternam que Zidane ait été si poli le matin de France-Brésil. Un mot de trop et il l’envoyait avec plaisir en tribunes. Déçu, il tape quand même dans la main de Thierry Henry après le match. Heureusement, la fin est enfin à la hauteur. Vieira se blesse, l’occasion est encore trop belle, il fait rentrer Alou Diarra, la ficelle est grosse mais tient. Zidane sort expulsé, son jubilé est terni à jamais, Domenech sent que la chance tourne, c’est le plus beau jour de sa vie. Surtout qu’avec une finale, on lui offre deux ans de bonheur supplémentaires. Ca ne sera pas de trop, Thuram est encore debout.
Pour 2008, c’est donc un chapitre de Machiavel qui s’ouvre. Domenech a compris que le costume de patron resterait aux vieux jusqu’à la fin de leur vie. Il faut juste les pousser dans l’escalier. Alors, il les flatte car au fond il sait qu’il dispose de la défense la plus mauvaise de l’Histoire. Jean-Baptiste Poquelin n’aurait pas écrit meilleure pièce. Il pousse la farce jusqu’à avertir le monde de ce qui va se passer. Personne ne bronche.
Ne pas finir comme Jacquet
Alors il met les pieds dans le plat. Il convoque Thuram à chaque fois, en fait un indiscutable, comme Sagnol. Ils ne jouent pas de l’année, peu importe, il continue de louer l’importance des cadres, dans une France en pleine confiance. Et quand Sagnol fait chier, c’est lui qui prend les remarques d’Escalettes. Sa liste est finalement peu décriée, il s’est pourtant fait très plaisir. Trezeguet n’est pas là et tout le monde invoque la logique. Il convoque Mandanda mais laisse Coupet sur le terrain. Malouda est intouchable, il n’a fait qu’un bon match en club, celui qu’il a joué. Entre Benarfa, Cissé et Gomis, il prend Gomis, et la presse jubile. Entre Clerc, Sagna et même Clichy il n’hésite pas une seconde non plus. Cette fois, la presse a quelques doutes, mais les garde pour elle. Les matches amicaux sont encore très mauvais, les attaquants se marchent sur les pieds, Thuram prend un grand pont contre l’Equatorien Tenorio et Wenger salue « son sauvetage sur la ligne, un modèle pour les jeunes ». Domenech sourit, et persuade David Astorga qu’il pourra bien reluquer les hôtesses autrichiennes les 29 juin à Vienne.
France-Roumanie arrive, la France est toujours nulle, ne se crée pas d’occasion. Des 16 équipes, elle est la seule à faire jouer un infirme, Sagnol, et un dépressif chronique, Malouda. Mais Domenech doit patienter. Les Roumains se rendent compte à la fin du match qu’ils ont laissé passer l’opportunité de leur vie en n’attaquant pas. La France n’est pas éliminée, et elle peut même aller en quarts. Domenech joue banco et tente le tout pour le tout : il se prive de Benzema pour les Pays-Bas, et maintient les vieux comme titulaires. Il a fait sa meilleure équipe possible, comme ça pas de regret. Ils ne le décevront pas. 1-4, Coupet est un Marraud, Thuram et Sagnol sont lents comme Diniz dans un 100 mètres. La France entière se moque de ses anciens, qui ne comprennent pas l’évidence : ils sont cramés. Domenech a réussi, son plan est un triomphe, l’audience au top.