La défaite des Bleus (17 à 12) a mis en lumière les carences mentales d'un groupe qui n'a pas su absorber la pression. Tout n'est pas fini, mais la survie passe par une remise en question.
Par Peyo Greenslip
« Surtout ne pas se mentir ». Alors, mon bon Jo, puisque tu nous en pries, ne soyons pas Maso mais juste réalistes. L’équipe de France est passé au travers de son entrée en lice dans le Mondial, faisant ressurgir un avatar de ce mal si Français, l’incapacité de faire face à la pression d’une étiquette de favori si vite collée. On croyait les rugbymen préservés de cette affliction. Mais leur tour d’Ivoire de Marcoussis n’aura pas suffi à éloigner les affres d’une médiatisation inédite dans le monde de l’Ovalie. Au contraire, ça les a tués. Car si les Bleus se sont inclinés hier soir, ce n’est sûrement pas à cause de Pumas sobres mais, pour autant, loins du génie.
Non, s’ils ont mis un genou sur la terre francilienne et dilapidé ainsi le seul joker qu’ils détenaient, les Tricolores doivent d’abord s’en prendre à eux-mêmes. Regardez ce pauvre David Skrela, livide, à en mettre en alerte tout le service de cardiologie de l’hôpital Necker (voire même le personnel du Père Lachaise), là où Hernandez, le teint mat à rendre jaloux les Beach Boys, sur une tête si haute qu’elle en tutoierait la cime dorée de la tour de Gustave, avançait fièrement, guidé par son petit caporal, au Stade de France, comme chez lui.
Le jeu : transformation ratée
Hier, les Bleus ont entamé le match terrorisés (une part de responsabilité incombe peut-être à l’atroce français du Doc Millar), réduisant ainsi à néant le travail important du cinq de devant. Un premier lancer échappé ne jeta pas le trouble sur les « gros » qui rivalisèrent avec le pack argentin, le mettant même épisodiquement sur le reculoir sur quelques mêlées importantes. La conquête assurée, c’est dans la transformation du jeu que les Bleus se sont loupés. La responsabilité de la charnière est alors directement impliquée, entre un Mignoni asphyxié par son vis-à-vis et un Skrela dont on eut l’impression qu’il se débattait seul, en apnée, contre d’inexorables courants contraires. Qu’attendaient ses centres pour lui venir en aide ?
Cette absence des demis se traduisit par une pression constante sur les épaules tricolores, confinés durant toute la première mi-temps à évoluer dans leur propre moitié de terrain. A ce jeu-là, la sérénité d’Hernandez régula le match, arrosé d’une pluie de chandelles. L’une d’elles, pourtant récupérée par les filets français aux mailles enfin resserrées, termina par un jeu de passe-passe dans l’en-but tricolore, aux bras du turbo Corleto. Un essai symbolique de la fébrilité des Bleus. En-avants, passes interceptées, absences aux points de chute… La litanie des maladresses témoignant de l’effroi qui coulait dans les veines tricolores est interminable. Comme tous ces ballons perdus après contact. Jamais les Bleus n’ont semblé vouloir aller au bout de leurs initiatives, se délestant d’un ballon devenu brûlant au contact des mains tricolores, là où ce même ovaloïde s’accommodait si bien de la froideur des griffes argentines. Le deuxième-acte ne fit que confirmer cette fébrilité, compensée toutefois par un léger ascendant physique. Insuffisant et finalement ce n’est que logique tant la maîtrise des Pumas sur ce match fut patente.
Les joueurs : 3e ligne en berne
Le pack, et notamment la première ligne, n’a pas à rougir de sa performance. Milloud (13/20) et De Villiers (13/20) ont dompté leur vis-à-vis dans le combat frontal, ce qui a néanmoins réduisit leur rayon d’activité dans le jeu. Il en va de même pour Ibanez (12/20), qui est apparu moins saignant que le Clermontois Ledesma. Pelous (12/20) tenta bien de mettre de l’eau sur le feu qui gagnait la maison bleue, pendant que Thion (9/20), actif en défense, parut bien transparent en attaque, ne parvenant jamais à effriter la défense argentine. La troisième ligne, fut, avec la charnière, la base du fiasco tricolore. Alors que Laporte avait préféré le tonus défensif de Martin (7/20) à la puissance de Dusautoir, le ni le Parisien (responsable sur l’essai), ni le Biarrot Betsen (9/20) ne mirent la moindre pression sur une charnière pumas libre d’amuser la galerie à sa guise. Comme nous nous en inquiétions déjà vendredi, on est en droit de se demander comment les Français ont pu se permettre de laisser tant de liberté à Juan Hernandez ?
En N.8, Harinordoqui (7/20), plombé par plusieurs maladresses initiales, passa totalement au travers de son match. Tout comme Mignoni (7,5/20), réduit à peu de choses face à la roublardise et à la grinta de Pichot, pur prototype du demi de mêlée idéal. David Skrela (6,5/20) ne parvint jamais à se dépêtrer de la pression ciel et blanche, tant au pied que dans l’animation offensive. Damien Traille (7,5/20) fit davantage admirer sa lenteur, sa maladresse et son cuir chevelu que son coup de pied (ce pourquoi il est sélectionné). Etonnant, alors que David Skrela peinait avec sa botte. On se demande encore si Jauzion (8/20) a joué hier alors que Rougerie (10/20) et Dominici (8/20), qui évoluait pourtant face à un amateur, n’ont pratiquement jamais réussi à prendre le dessus sur leurs vis-à-vis. Heymans (9/20), enfin, croula, comme nous l’avions également annoncé, sous les chandelles et manqua parfois d’audace sur certains ballons qui auraient pu être exploités.
Cette défaite ne ruine pas définitivement les chances françaises, mais sonne comme un coup d’arrêt au positivisme dans lequel le clan Laporte semblait baigner. Désormais, la route de la qualification passera indubitablement par un succès sur l’Irlande. Celle de la finale, vraisemblablement par un quart de finale face aux Blacks, à Cardiff. A voir la façon dont les Bleus ont géré ce premier match à domicile, cela pourrait être un mal pour un bien.